O FOUQUET l'article 168 du CGI constitue-t-il encore une menace sérieuse pour le contribuable de bonne foi?

rolls.jpg Nous remercions le président Fouquet et la revue administrative de nous avoir autorisé à publier  la présente chronique 

 

 

Cette chronique rentre dans le débat sur un impôt minimum, débat que nous avons initié par la tribune

L’ARTICLE 168 EST IL DE  RETOUR ?

 

CE 6 août 2008 n° 305442  min. c/ Caoduro (textes antérieurs à 2003)

 

Conseil d’Etat 27 octobre 2008 n°294160, min. c/ Planet,

conclusions de Mr Emmanuel. Glaser 

 

TAXATION D’APRES LES SIGNES EXTERIEURS DE RICHESSE :

LE DERNIER DINOSAURE VACILLE  

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Par OLIVIER FOUQUET Président de Section au Conseil d’Etat

 

LES TRIBUNES D'OLIVIER FOUQUET

  

1) Le vieux fiscaliste que nous sommes, a connu la période glaciale des dinosaures fiscaux, celle où l’administration fiscale taxait les contribuables à la tête du client. C’était l’époque heureuse des forfaits de bénéfices industriels et commerciaux et des évaluations administratives de bénéfices non commerciaux. Mais c’était aussi l’époque terrifiante de la taxation d’office d’après les dépenses personnelles ostensibles ou notoires (ancien article 180 du CGI) ou d’après les signes extérieurs de richesse (article 168 du CGI), sur des bases que le contribuable ne pouvait pas contester, en raison d’une interdiction formelle de la loi, en faisant valoir que son revenu imposable réel était inférieur à la base taxée.

 

Cette époque est largement révolue.

 

 Cette époque est largement révolue. Le forfait individuel a été supprimé. La taxation d’après les dépenses personnelles ostensibles ou notoires a été supprimée par la loi Aicardi, après avoir été blessée à mort par le Conseil d’Etat. Seule subsiste la taxation d’après les signes extérieurs de richesse, en principe affaiblie  par la loi Aicardi qui a autorisé le contribuable à apporter la preuve contraire. Mais comme le montrent deux décisions récentes du Conseil d’Etat du 27 juillet 2006 et du 27 octobre 2008, l’administration s’accroche à ce mode de taxation désuet et voudrait lui donner encore la portée d’autrefois dont la réforme Aicardi l’a privé. Le dinosaure vacille, mais il n’est pas mort et peut encore écraser le contribuable de bonne foi.

 

2) Pourquoi la taxation d’après les signes extérieurs de richesse n’a-t-elle pas disparu en 1987, même temps que la taxation d’après les dépenses personnelles ostensibles ou notoires ? Sans doute les motifs qui ont justifié la disparition de la taxation d’après les dépenses personnelles ostensibles ou notoires, s’appliquaient-ils moins bien à la taxation d’après les signes extérieurs de richesse.

 

La procédure d’imposition d’après les dépenses personnelles ostensibles ou notoires (ancien article 180 du CGI) était techniquement surpassée par la taxation d’office pour défaut de réponse à une demande de justifications (article L.16 et L.69 du LPF). En effet, alors que l’administration appliquant l’ancien article 180 du CGI ne pouvait imposer qu’une partie des flux sortants affectant le patrimoine d’un contribuable, elle pouvait, en revanche, en appliquant les articles L.16  et L. 69 du LPF, imposer le solde net entre l’ensemble des flux sortants et des flux entrants (balance de trésorerie) en l’absence de justifications. La seconde méthode, devenue aujourd’hui l’instrument essentiel des examens de situation fiscale personnelle, était donc à la fois plus précise et plus compréhensive.

 

Par ailleurs, le Conseil d’Etat, par une décision de plénière fiscale rendue à nos conclusions (CE 4 juillet 1986 n°42001 : RJF 10/86 n°845, concl. O. Fouquet p.528) avait fait perdre à cette technique d’imposition une grande partie de son efficacité en admettant que le contribuable pouvait apporter la preuve qu’il avait financé la différence entre ses dépenses personnelles et ses revenus exonérés par l’utilisation de capitaux. Statuant quasi contra legem, puisque l’ancien article 180 du CGI disposait «  que le contribuable ne pouvait faire échec à cette évaluation [ d’après ses dépenses personnelles] en faisant valoir qu’il aurait utilisé des capitaux … », le Conseil d’Etat avait admis qu’un entrepreneur de travaux publics qui avait mis fin  à l’exploitation de son entreprise en Haute-Volta, vendu son matériel de travaux publics et rapatrié le produit de la vente en revenant en France, justifiait ainsi de l’origine de ses dépenses  dans notre pays au cours des deux années suivant son retour. Dès lors la procédure d’imposition d’après les dépenses personnelle ostensibles ou notoires avait perdu même l’intérêt résiduel qu’elle aurait pu conserver à raison de l’interdiction pour le contribuable d’apporter la preuve contraire, par rapport à la procédure de taxation d’office pour défaut de réponse à une demande de justifications. La loi Aicardi n°86-1317 du 30 décembre 1986, suivant les propositions de la commission du même nom dont les rapporteurs généraux ont été successivement Noël Chaïd Nouraï et Pierre-François Racine, a donc purement et simplement supprimé l’article 180 du CGI.

 

3) Il n’en a pas été de même pour l’article 168 du CGI relatif à la taxation d’après les signes extérieurs de richesse. La sévérité en a été cependant atténuée puisque la loi précitée du 30 décembre 1986. Le contribuable taxé d’après ses signes extérieurs de richesse auquel il était interdit jusqu’alors d’apporter la preuve que « ses revenus imposables seraient inférieurs aux bases d’imposition résultant du barème » des signes extérieurs, peut désormais « apporter la preuve que ses revenus ou l’utilisation de son capital lui ont permis d’assurer son train de vie ».

 

Pourquoi la loi Aicardi, plutôt que de limiter la sévérité de l’article 168 du CGI, ne l’a-t-elle pas supprimé ? Sans doute l’administration  dont les moyens d’investigation étaient à l’époque moins performants qu’aujourd’hui, a-t-elle craint de se trouver encore dans des hypothèses où elle serait dans l’impossibilité  d’évaluer précisément les revenus d’un contribuable. Sans doute avait-elle également une conception restrictive de la faculté pour le contribuable d’apporter la preuve contraire, ainsi que le montrent les deux décisions récentes du Conseil d’Etat.

 

Dans la première affaire jugée le 27 juillet 2006 n°275554, Ruwayha , RJF 12/06 n°1492, concl. E. Glaser BDCF 12/06 n°143, l’administration soutenait que le contribuable devait apporter la preuve des moyens par lesquels, au cours des années d’imposition, il avait financé l’achat des éléments de son train de vie, en l’espèce des voitures de luxe. Mais l’administration raisonnait à tort comme en matière de demande de justifications (article L. 16 du LPF). L’article 168 du CGI se borne à évaluer forfaitairement le revenu imposable du contribuable. La discussion porte seulement sur la question de savoir comment il a financé ce revenu forfaitaire et non sur celle de savoir comment il a financé l’acquisition des éléments du barème qu’il détient. Il doit démontrer l’équivalence entre d’une part les sommes qu’il a effectivement dépensées et d’autre part le montant de son train de vie évalué d’après le barème.

 

Dans la seconde affaire jugée le 27 octobre 2008 n°294160, min. c/ Planet, RJF 1/09 n°3, concl. E. Glaser BDCF 1/09 n°1, l’administration soutenait qu’il n’était pas possible au contribuable d’apporter la preuve seulement partielle du financement de son train de vie. Autrement dit selon cette thèse, si le barème donnait un revenu forfaitaire de 50 000 €, le contribuable qui aurait justifié, par exemple par l’utilisation de capitaux, du financement de ce revenu à hauteur de 49 999 €, n’aurait obtenu aucune décharge de l’imposition établie sur son revenu forfaitaire. Le contribuable qui aurait justifié du financement de son revenu forfaitaire à hauteur des 50 000 du barème, aurait obtenu au contraire la décharge totale de son impôt. A 1 € près, c’était tout ou rien. L’absurdité économique de cette thèse était évidente. En outre, en fiscalité, lorsque le contribuable peut apporter la preuve contraire, il peut toujours, selon les principes qui gouvernent l’administration de la preuve, n’apporter qu’une preuve partielle : dans cette hypothèse il n’obtient satisfaction que partiellement. Aussi le Conseil d’Etat juge-t-il que le contribuable n’est pas tenu d’apporter la preuve qu’il a financé par divers moyens la totalité de son train de vie. Il peut n’apporter la preuve que d’un financement partiel de son train de vie. Dans ce cas, la base imposable résulte de la différence entre d’une part l’évaluation forfaitaire du revenu d’après le train de vie et d’autre part des sommes dont le contribuable justifie qu’elles lui ont permis de financer en partie son train de vie.

 

4) En dépit de l’atténuation de la sévérité de l’article 168 du CGI par le régime de la preuve contraire, le caractère inéquitable de ce dispositif subsiste à bien des égards. Les critiques que nous avions adressées à ce dispositif dans un article publié à la Gazette du Palais n°138/139 de 1983, p.2, demeurent fondées pour l’essentiel.

 

En premier lieu, l’article 168 permet de majorer artificiellement et de façon inéquitable le revenu réel d’un contribuable qui n’a rien dissimulé. Il en va par exemple ainsi de la vieille dame devenue veuve qui se maintient quelque temps dans l’appartement devenu trop grand qu’elle occupait avec son mari avant le décès de celui-ci. Il en va également ainsi de l’entrepreneur individuel dont le résultat industriel et commercial est déficitaire une année par application de la loi fiscale, par exemple du fait d’amortissements dégressifs ou de la constitution de provisions.

 

En deuxième lieu, le barème a terriblement vieilli. Le signe extérieur relatif aux bateaux de plaisance à moteur qui ne tient compte que de la puissance du moteur, à l’exclusion de la jauge, est dépassé par le progrès technique. Le signe extérieur relatif aux abonnements dans les clubs de golf, inventé à une époque où il n’y avait que 25 000 golfeurs licenciés contre 350 000 aujourd’hui, ne tient pas compte de l’effondrement des prix du matériel de golf. Le signe extérieur relatif aux employés de maison, précepteurs, préceptrices et gouvernantes ne tient pas compte de la circonstance que ce type de personnel est aujourd’hui employé le plus souvent à temps partiel. La référence à la valeur locative cadastrale pour évaluer le revenu représentatif de la disposition d’une résidence est calculé par rapport à la révision en 1970 de valeurs qui n’ont pas été réajustées depuis en fonction de leur progression réelle : la valeur locative cadastrale d’un immeuble neuf est sensiblement plus élevé que celle d’un immeuble ancien alors que son coût d’entretien est moins élevé.

 

En troisième lieu, la règle de majoration du barème en fonction du nombre des éléments détenus (50% aujourd’hui si plus de six éléments détenus) est totalement artificielle. Le Conseil d’Etat qui admet que l’administration, taxant d’office un contribuable, puisse, pour évaluer son revenu imposable, se référer au barème des signes extérieurs, refuse néanmoins à cette même administration d’utiliser dans ce cas la majoration fonction du nombre des éléments détenus : CE 15 octobre 1982 n°24226, RJF 12/82 p. 531. La Haute juridiction estime en effet que la fiabilité des majorations pour évaluer forfaitairement le revenu imposable est douteuse. En effet, la base sera majorée pour un petit contribuable détenant plusieurs signes extérieurs modestes alors qu’elle ne le sera pas pour un gros contribuable détenant moins de signes extérieurs même s’ils ont  une valeur beaucoup plus considérable. En outre détenir, à la suite d’un héritage, trois résidences en indivision du tiers, implique la détention de trois signes extérieurs, alors qu’après le partage  de ces résidences entre membres de l’indivision, chacun d’entre eux ne détiendra plus qu’un seul signe extérieur sans pour autant que son train de vie réel ait été modifié.

 

5) En conclusion, les défauts d’un impôt sur les portes et fenêtres sont toujours les mêmes depuis l’ancien régime. Les femmes françaises doivent-elles sentir le fumier, comme le notait un voyageur anglais à la fin du XVIIIe siècle, afin de décourager l’évaluation à la tête du client des revenus de leur ménage par le collecteur des impôts ? Accordons-nous à penser que les temps ont changé. Nous ne voyons plus guère l’utilité de l’article 168 du CGI compte tenu des moyens d’investigation actuels de l’administration et des procédures de taxation d’office dont elle dispose. Les GIR n’ont pas besoin de l’article 168 pour imposer les dealers au RMI qui roulent en porsche. Le temps de la préhistoire fiscale est terminé. Le dernier des dinosaures fiscaux peut-il légitimement survivre ?

 

 

 

KK

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