O FOUQUET de l'évaluation des titres non cotés

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Avec l'autorisation de la Revue  Administrative

 

DROIT DES CONTRIBUABLES.jpgL’EVALUATION DES TITRES NON COTES

Par O FOUQUET

Ou les aléas de l'évaluation  des titres non cotés : du droit ou du fait?"

 

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Les quatre enseignements  

 

L’évaluation des titres non cotés donne lieu à de fréquents litiges entre les contribuables et l’administration. En effet, la diversité des situations qu’il s’agisse de la société ou des actionnaires, et la diversité des méthodes d’évaluation ouvrent la voie à des discussions sans fin de marchands de tapis. 

1er enseignement  la valeur est aussi voisine que possible de celle  qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue  

2eme enseignement Sur  l’abattement pour non liquidité 

3ème enseignement Sur  la décote de minorité 

4ème enseignement Une  libéralité n'existe que si l’écart est  significatif.

 

Au niveau pratique, la lecture de ces deux arrêts montre que l’administration reconnait l’application cumulée des abattements de minorité et de liquidité ...

 

Deux décisions récentes du Conseil d’Etat

 

 

 

CE 3 juillet 2009 n°301299, Hérail

 

CE 3 juillet 2009   n° 306363, min./c : Plessis de Pouzilhac 

 

 

 

Un arrêt de la Cour de Cassation

 

Cass. Com. 7 juillet 2009 n°08-14855 Zorn

 

montrent qu’au delà des appréciations de fait, l’évaluation des titres non cotés pose des questions de droit qui justifient un contrôle en cassation. Les cas d’espèce se prêtaient au rappel par le juge des raisonnements applicables à une telle évaluation.

 

 

L’EVALUATION DES TITRES NON COTES

Par

Olivier FOUQUET

Président de Section au Conseil d’Etat

 1) L’évaluation des titres non cotés donne lieu à de fréquents litiges entre les contribuables et l’administration. En effet, la diversité des situations qu’il s’agisse de la société ou des actionnaires, et la diversité des méthodes d’évaluation ouvrent la voie à des discussions sans fin de marchands de tapis. Deux décisions récentes du Conseil d’Etat (CE 3 juillet 2009 n°301299, Hérail et n° 306363, min./c : Plessis de Pouzilhac : RJF 11/09 n° 940 et 941, concl. L. Olléon BDCF 11/09 n°129) et un arrêt de la Cour de Cassation (Cass. com. 7 juillet 2009 n°08-14855 (n°678 F-D), Zorn ; RJF 12/09 n°1173) montrent qu’au delà des appréciations de fait, l’évaluation des titres non cotés pose des questions de droit qui justifient un contrôle en cassation. Les cas d’espèce se prêtaient au rappel par le juge des raisonnements applicables à une telle évaluation.

 

2) Dans les espèces examinées par le Conseil d’Etat, il s’agissait d’une société dont le président et les cadres supérieurs avaient acquis des actions dans le cadre d’un plan d’actionnariat qui comportait une promesse de rachat des titres. La société mère qui souhaitait prendre le contrôle de la totalité du capital de la société, a racheté les actions des intéressés. A l’occasion de la vérification de la société grand’mère, l’administration s’est aperçue que las actions ainsi rachetées, l’avaient été sur deux ans à des prix sensiblement différents selon l’actionnaire. M. H qui détenait 1% du capital avait cédé ses actions au prix unitaire de 8755 F ; M. P, président, qui détenait 8% du capital, avait cédé ses actions au prix unitaire de 6985 F ; d’autres cadres enfin avaient cédé les leurs à un prix inférieur à ce dernier prix. Il n’a pas fallu beaucoup d’imagination à l’administration pour en déduire que la société avait rachetées leurs actions à MM. H et P à un prix surévalué par rapport à la valeur vénale et que la différence entre le prix consenti et la valeur vénale constituait une libéralité consentie par la société aux vendeurs de titres, imposable entre les mains de ces vendeurs dans la catégorie des revenus mobiliers.

 

Cependant, dans les deux espèces, le Conseil d’Etat a donné tort à l’administration. A vrai dire, l’histoire juridictionnelle différente des deux affaires a fait qu’elles ne se présentaient pas au juge de cassation de la même façon. Dans le cas de M. H, le tribunal avait prononcé la décharge des rappels d’impôt, mais la cour les avait  partiellement rétablis et le contribuable avait formé un pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat casse l’arrêt et prononce la décharge. Dans le cas de M. P, le tribunal avait prononcé la décharge, la cour l’avait confirmé et le ministre avait formé un pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du ministre.

 

3) Le premier enseignement de ces décisions n’est pas nouveau : « la valeur vénale d’actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ». Selon la jurisprudence, le premier critère, prioritaire sur les autres, de ce jeu normal est  celui qui se fonde sur le prix auquel ont été conclues d’autres transactions portant sur les mêmes titres et se présentant dans des conditions équivalentes, à condition que le délai séparant ces transactions de la transaction en cause soit raisonnable : CE 14 juin 1978 n°9403 : RJF 7-8 /78 n°316 avec concl. B. Martin-Laprade p.214 ; CE 29 décembre 1999 n°171859, Robardey : RJF 2/00 n°153. Ce n’est qu’en l’absence de transaction équivalente que les autres méthodes d’évaluation peuvent être utilisées, valeur mathématique, valeur de productivité, valeur de rendement, méthode du goodwill, méthode des cash-flows actualisés, etc… : CE 26 mai 1982 n°29053 : RJF 7/82 n°636 ; CE 14 novembre 2003 n°229446, Lafarge : RJF 2/04 n°124, concl. M.-H. Mitjavile BDCF 2/04 n°18.

 

A cet égard l’affaire de M. P peut sembler paradoxale puisque le Conseil d’Etat donne tort à l’administration qui, à l’appui de son pourvoi en cassation, soutenait que la cour administrative d’appel aurait dû, pour apprécier l’existence de la différence invoquée par le service entre le prix convenu et la valeur vénale des titres cédés, se référer par priorité aux prix de cession inférieurs auxquels d’autres cadres avaient cédé à des dates proches leurs propres actions. A première vue, la référence de l’administration aux cessions opérées par d’autres cadres qui avaient acquis leurs actions dans le même plan d’actionnariat, pouvait paraître devoir l’emporter sur toute autre méthode d’évaluation, notamment celles multi-critères utilisées par les experts. Quoi de plus comparable ? Cependant le Conseil d’Etat, rejetant le pourvoi du ministre, donne raison à la cour d’avoir écarté cette référence « en estimant que les différences de prix constatées reflétaient le pouvoir de négociation des vendeurs et le niveau de connaissance du marché et des données particulières à l’entreprise ». Il faut donc en déduire que le président d’une société a un pouvoir de négociation du prix des titres cédés supérieur à celui de ses cadres supérieurs. C’était peut-être vrai en l’espèce, compte tenu des liens du président de la société avec les autres dirigeants du groupe  et de l’importance relative de sa participation (8% du capital) par rapport à celle de chacun des cadres supérieurs (1% ou moins). Mais nous nous demandons si l’administration a, tant en appel qu’en cassation, tiré parti de l’existence des autres transactions autant qu’elle l’aurait pu le faire, dès lors qu’il s’agissait d’une prise de contrôle à 100%, c’est-à-dire d’une hypothèse où le pouvoir de négociation des minoritaires est nécessairement fort.

 

4) Le second enseignement des décisions est relatif à l’abattement pour non-liquidité. Ce type d’abattement paraît inhérent aux titres non cotés. Pourtant, dans l’affaire de M. H, le Conseil d’Etat écarte l’abattement de 33% que l’administration avait ainsi pratiqué pour déterminer la valeur vénale, en augmentant ainsi la différence entre le prix convenu plus élévé  et la valeur vénale estimée (qui diminue du fait de l’abattement). La situation était particulière puisque que le plan d’actionnariat comportait un engagement permanent de rachat de ses titres. A vrai dire une telle clause n’assurait en fait la liquidité que si la sortie pouvait se faire effectivement à un prix de marché. En effet, à défaut, l’engagement de rachat demeurait théorique. Mais tel n’était pas le cas puisque le rachat était prévu « à une valeur de marché fixée à dire d’expert ».

 

5) Le troisième enseignement est relatif à la décote de minorité que l’administration avait fixée à 20%, dans le cas de M. H qui ne détenait que 1% du capital de la société dont il cédait les titres. Il est vrai que la jurisprudence admet que les titres dont la cession va permettre à l’acheteur de détenir une minorité de blocage ou un contrôle majoritaire, se payent plus cher que les autres. Mais en l’espèce, l’actionnaire très  minoritaire se trouvait dans la même situation de force qu’un actionnaire plus important, dans la mesure où l’acquéreur voulait contrôler 100% du capital.

 

6) Le quatrième enseignement, le plus inédit, est celui de « l’écart significatif » qui doit exister entre le prix convenu et la valeur des titres pour caractériser une libéralité (outre l’intention pour la société de l’octroyer et pour le vendeur de titres de la recevoir, intention  qui est présumée lorsqu’il existe des relations d’intérêt entre les deux). Autrement dit, le Conseil d’Etat estime que la détermination de la valeur des titres non cotés, particulièrement lorsqu’elle résulte d’une combinaison de méthodes,  ne procède pas d’une science exacte de sorte que la valeur vénale à retenir doit comporter une fourchette. Cette approche du juge est le reflet de celle des experts qui, lorsqu’ils utilisent une méthode multi-critères, proposent fréquement une fourchette d’évaluations. Le prix convenu qui se situe à l’intérieur de cette fourchette, ne peut pas être constitutif d’une libéralité. Si le prix convenu est au-dessus de la branche haute de cette fourchette, la libéralité n’est constituée que si l’écart entre ce prix et la branche basse de la fourchette est significatif. Dans l’affaire de M. H, la décision relève que le prix convenu était de 8755 F tant pour 1989 que 1990, alors que les trois rapports d’expertise conduisaient à fixer une fourchette de 7000 à 7950 F pour 1989  et de 9400 à 10000 F pour 1990. La fourchette 1989 équivalait à 80/91 % du prix convenu, alors que pour 1990 le prix convenu était inférieur à la branche basse de la fourchette. Pour la cession intervenue en 1989, le Conseil d’Etat a donc admis un écart de 20% entre le prix convenu et la branche basse de la fourchette. Si l’on se reporte aux conclusions du rapporteur public, Laurent Olléon, cette exigence d’un écart de plus de 20% pour que l’écart soit significatif pourrait bien devenir une règle prétorienne non écrite de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

 

7) Relevons, pour terminer que la jurisprudence de la Cour de Cassation marche la main dans la main avec celle du Conseil d’Etat, en privilégiant le prix auquel s’est faite une transaction comparable par rapport  au prix résultant d’une méthode multi-critères. Dans l’hypothèse où le prix d’une transaction, invoquée comme terme de comparaison, reflète la valeur de marché, compte tenu par exemple des intérêts contraires du vendeur et de l’acquéreur, il n’y a pas lieu de recourir aux méthodes de calcul multi-critères : Cass. com. 7 juillet 2009,Zorn, préc.

 

En conclusion, en dépit de ses incertitudes, on peut de demander si l’évaluation des titres non cotés ne réserve pas moins de surprises en définitive que celles des titres cotés sur un marché réglementé dont récemment la valeur, après s’être effondrée, a pu, pour certains d’entre eux,  être multipliée par quatre ou cinq en quelques mois.

 

                            

                                                                                                          O.F.

 

 Conclusions. L. Olléon 

 

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