O FOUQUET: Le risque est-il la meilleure antidote à l’abus de droit ?

Un montage artificiel polynesie.pngde  fraude à la loi polynésienne ??

 

les tribunes d'Olivier Fouquet

 

 les tribunes sur l' abus de droit

 

Vers une nouvelle approche de l'abus de droit ??

 

Note de P Michaud :Les  réflexions d’O Fouquet sont toujours une mine de renseignements complémentaires et prospectifs pour les 20000 blogueurs d’EFI.

Dans sa rubrique  de ce jour, O Fouquet nous propose d’analyser  l’existence d’un abus de droit fiscal non seulement  au niveau simplement juridique mais aussi au niveau économique c'est à dire durant toute la durée de réalisation de l’opération. Nous verrons si cette nouvelle approche permettra de mieux cerner la complexité des situations …..  

 

 

 

L’ABUS DE DROIT ET LE RISQUE

Par

Olivier FOUQUET

Président de Section au Conseil d’Etat 

avec l'aimable autorisation de la revue administrative 

 

   Le risque est-il la meilleure antidote à l’abus de droit ?

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Conseil d’État 12 mars 2010 N° 306368 SOCIETE CHARCUTERIE DU PACIFIQUE

 

- les conclusions de M. Edouard Geffray, Rapporteur public

 

 Cour Administrative d'Appel de Paris 09 mars 2007, 03PA03819

 

 

La décision du 12 mars 2010 n°306368, Sté Charcuterie du Pacifique (RJF 6/10 n°620, concl. E. Geffray BDCF 6/10 n°68, obs. R. Beauvais BGFE 3/10) vient confirmer la portée de l’interprétation a contrario des deux décisions du 7 septembre 2009 n°308586, min. c/ Axa et n°305596, Sté Henri Goldfarb (RJF 12/09 n°1138 et 1139, concl. L. Olléon BDCF 12/09 n°142, obs. O. Fouquet Dr. fisc. 39/09 act 287 p.1),

 

O  Fouquet nous explique Axa et Goldfarb 

 

LA POLYNESIE FRANCAISE

 

LE CODE DES IMPOTS DE POLYNESIE

 

Le conseil annule la position de la CAA de PARIS et  motive sa décision de confirmation de la position de l’administration sur la constatation d’un montage artificiel, ou  "d'une opération à caractère artificiel" termes qui sont utilisés de plus en plus souvent

 

Pour O FOUQUET,on retiendra de cette intéressante décision deux idées.

 

"La première est que l’absence de caractère artificiel d’un montage implique que l’opérateur économique se comporte comme tel, avec les risques qu’impliquent les opérations analogues auxquelles d’autres opérateurs économiques se livrent. Si l’opérateur, dans une opération ouvrant droit à un avantage fiscal, est contre-garanti par son cocontractant, l’opérateur ne poursuit qu’un but exclusivement fiscal en détournant l’esprit de la loi qui a souhaité encourager certaines opérations en tenant compte des risques qu’elles comportent.

 

 La seconde idée est qu’une opération peut être entachée d’abus de droit du seul fait des modalités de son financement. La société CDP faisait valoir qu’après tout, l’hôtel avait été effectivement construit conformément à l’objectif fixé par le législateur polynésien. Mais la question était de savoir si la société CDP avait droit ou non au crédit d’impôt. En fait, elle n’avait financé l’opération qu’à hauteur de 30% et supporté le risque de l’investisseur que dans cette proportion : elle ne pouvait donc prétendre au crédit d’impôt que dans cette mesure".

 

Conseil d'État,  07/09/2009, 305586, SA Axa 

Conseil d'État, , 28/02/2007, 284565,  SA Peco

 

 

Cette expression "opération à caractère  artificiel" qui peut être entendue comme une opération dont la réalité est différente de l'apparence est couramment utilisée dans la JP de la Cour de Luxembourg et dans les chroniques d'O  Fouquet . 

 

 

« C’est à bon droit que l’administration fiscale établit le caractère artificiel
de la participation de la SOCIETE CDP au financement de la construction de l’hôtel »

 

L’ABUS DE DROIT ET LE RISQUE

Par

Olivier FOUQUET

Président de Section au Conseil d’Etat 

 

 

1)    Le risque est-il la meilleure antidote à l’abus de droit ?

 

 

Dans deux décisions du 7 septembre 2009 n°308586, min. c/ Axa et n°305596, Sté Henri Goldfarb (RJF 12/09 n°1138 et 1139, concl. L. Olléon BDCF 12/09 n°142, obs. O. Fouquet Dr. fisc. 39/09 act 287 p.1), qui ont eu un certain retentissement, le Conseil d’Etat avait jugé que n’étaient pas constitutives d’un montage entaché d’abus de droit les opérations consistant pour une société déficitaire percevant des dividendes à transférer les titres, avant détachement du coupon, par prêt de titres ou vente à réméré des titres, à une autre société qui peut imputer sur son impôt l’avoir fiscal attaché au dividende.

 

La Haute juridiction a relevé que l’avoir fiscal était attaché à la qualité d’actionnaire et qu’en l’espèce la société qui encaissait les coupons, supportait bien les risques de l’actionnaire dans la  mesure où les opérations d’emprunt de titres ne prémunissent pas l’emprunteur des risques encourus pendant la période de détention des titres et que les achats à réméré comportent le risque d’une absence de rachat au dénouement du contrat.

 

Certains commentateurs s’étaient demandés si l’évocation de l’existence d’un risque couru par l’actionnaire était bien nécessaire et si le Conseil d’Etat n’aurait pas pu se borner à constater que le bénéficiaire de l’avoir fiscal avait bien la qualité d’actionnaire au sens de la loi à la date de détachement du coupon.

 

 Mais le Conseil d’Etat avait déduit, de l’existence d’un risque couru par l’actionnaire, l’absence de caractère « artificiel » des opérations d’emprunt de titres ou d’achat à réméré. Autrement dit, il y avait dans ces deux décisions un a contrario implicite : si l’emprunteur ou l’acheteur à réméré des titres avait été couvert contre le risque d’actionnaire par une contre-lettre de garantie des prêteurs ou des vendeurs à réméré, l’opération aurait eu un caractère artificiel privant l’emprunteur ou l’acheteur à réméré de la sincère propriété des titres et faisant dès lors obstacle à ce qu’ils prétendent au bénéfice de l’avoir fiscal.

 

2) La décision du 12 mars 2010 n°306368, Sté Charcuterie du Pacifique (RJF 6/10 n°620, concl. E. Geffray BDCF 6/10 n°68, obs. R. Beauvais BGFE 3/10) vient confirmer la portée de l’interprétation a contrario des deux décisions du 7 septembre 2009 susmentionnées.

 

En Polynésie française, à l’époque, les investisseurs dans l’hôtellerie bénéficiaient d’un crédit d’impôt égal à 60% de leur investissement. La société CDP a souscrit pour 100 millions de francs CFP à une augmentation du capital d’une société TTBR II, destinée à lui permettre de réaliser un hôtel. La société a eu droit à un crédit d’impôt de 60 millions de francs CFP. Mais, en examinant l’opération, l’administration fiscale s’est aperçue que la société CDP avait conclu dès l’origine auprès de la SA TTBR, mère de la société TTBR II, un emprunt de 70 millions de francs CFP remboursable sous forme de remise à cette société mère par la société CDP, dès la délivrance du certificat de conformité de l’hôtel, de la totalité des actions de la société TTBR II qu’elle avait souscrites.

 

Autrement dit, la société CDP qui avait souscrit à hauteur de 100 millions de francs CFP au capital de la société TTBR II, n’en avait libéré que 30% par apport de fonds propres, et avait emprunté 70 millions de francs CFP qu’elle était assurée de pouvoir rembourser par la seule remise au prêteur, en fin d’opération, de la totalité de ses titres, c’est-à-dire des titres d’une valeur nominale de 100 millions de francs CFP cédés pour une valeur de 70 millions (le montant de l’emprunt). Au total, la société CDP investissait réellement 30 millions, percevait 60 millions de crédit d’impôt (calculé au taux de 60% sur 100 millions), et restituait au prêteur pour un prix de 70 millions (le remboursement de l’emprunt) la totalité des titres qu’elle avait souscrit pour un montant de 100 millions. In fine, la société CDP conservait les 60 millions de crédit d’impôt pour un apport de fonds propres de 30 millions (d’où un avantage égal à 60-30 millions = 30 millions), tandis que le prêteur qui avait prêté 70 millions, récupérait 100 millions (d’où un avantage égal à 100-70= 30 millions). Le montage financier aboutissait donc à partager en fait par moitié le crédit d’impôt de 60 millions entre la société CDP et le prêteur qui, en tant que promoteur, n’avait pas droit à ce crédit.

 

Le partage en fait du crédit d’impôt n’aurait sans doute pas suffi, au regard des précédents Axa et Henri Goldfarb où il y avait eu en fait partage de l’avoir fiscal, à caractériser un montage abusif. Mais, le Conseil d’Etat se fonde, comme dans ces précédents, sur l’existence ou non d’un « risque ». Il juge que l’investissement hôtelier de la société CDP correspond à hauteur de 70% à « une opération financière dénuée de tout risque ». La participation de la société CDP au financement de la construction de l’hôtel a donc un caractère « artificiel » à hauteur de 70%. La société CDP n’est regardée comme un investisseur hôtelier qu’à hauteur de 30% de l’investissement : elle n’a donc droit à un crédit d’impôt que de 18 millions (30 millions x 60%) au lieu de 60 millions de francs CFP.

 

3) On retiendra de cette intéressante décision deux idées. La première est que l’absence de caractère artificiel d’un montage implique que l’opérateur économique se comporte comme tel, avec les risques qu’impliquent les opérations analogues auxquelles d’autres opérateurs économiques se livrent. Si l’opérateur, dans une opération ouvrant droit à un avantage fiscal, est contre-garanti par son cocontractant, l’opérateur ne poursuit qu’un but exclusivement fiscal en détournant l’esprit de la loi qui a souhaité encourager certaines opérations en tenant compte des risques qu’elles comportent. La seconde idée est qu’une opération peut être entachée d’abus de droit du seul fait des modalités de son financement. La société CDP faisait valoir qu’après tout, l’hôtel avait été effectivement construit conformément à l’objectif fixé par le législateur polynésien. Mais la question était de savoir si la société CDP avait droit ou non au crédit d’impôt. En fait, elle n’avait financé l’opération qu’à hauteur de 30% et supporté le risque de l’investisseur que dans cette proportion : elle ne pouvait donc prétendre au crédit d’impôt que dans cette mesure.

 

En définitive la jurisprudence du Conseil d’Etat sur l’abus de droit (auquel on doit assimiler la fraude à la loi) ne cesse de gagner en réalisme économique. Le critère du montage « artificiel », caractérisé par les motifs tirés de la jurisprudence Janfin du 27 septembre 2006, devient essentiel. Les commentateurs ont souvent critiqué autrefois la conception trop étroitement juridique que le Conseil d’Etat avait de l’abus de droit. Critiqueront-ils désormais une conception trop économique ? Nul n’est parfait.

 

 

Olivier Fouquet  aout 2010

 

 

 XXXXXX

 

 

 

LA SITUATION DE FAIT

Dans le cadre des dispositions de l’article 115-1-2 du code des impôts directs du territoire de la Polynésie française , relatif à l’octroi d’un crédit d’impôt au profit des sociétés qui investissent dans un projet de construction immobilière et à vocation hôtelière,la Société CHARCUTERIE DU PACIFIQUE a acquis 50 000 actions d’un prix unitaire de 2 000 F CFP chacune, de la société Te Tiare Beach Resort II (ci-après « TTBR II ») chargée de la réalisation de l’hôtel éponyme à Huanine en Polynésie française, correspondant à une souscription d’un montant total de 100 000 000 de F CFP ; qu’à concurrence de 30 % du montant total,

Elle a libéré, dès le 30 décembre 1996, cette participation par un apport en fonds propres qui a ouvert droit à un crédit d’impôt au titre des dispositions de l’article 115-1-2 du code que l’administration n’a pas remis en cause ;

 

l’administration a en revanche remis en cause le crédit d’impôt dont la société requérante a bénéficié à hauteur des 70 % restants correspondant au 70 000 000 F CFP de souscription qu’elle a considérés comme n’ayant pas été régulièrement libérés et qu’elle a assorti ce redressement, portant sur des montants respectifs de 23 793 000 F CFP et de 18 207 000 F CFP, au titre des exercices 1996 et 1997, des pénalités pour manoeuvres frauduleuses de l’article 511-5 du code des impôts susvisé ;

 

LA POSITION DU CONSEIL D ETAT

 

 dès l’origine, le montage auquel a participé la SOCIETE CDP limitait la participation réelle de celle-ci au financement de l’investissement à raison duquel elle a demandé le crédit d’impôt litigieux à 30 % de cet investissement ; que la SOCIETE CDP n’a pas supporté les risques de l’investisseur en contractant auprès de la SA TTBR un emprunt, dès lors qu’il était stipulé que le remboursement serait effectué au dénouement de l’opération par la remise des actions souscrites à 70 % de leur valeur nominale ;

ainsi la SOCIETE CDP, dont le rôle de porteur d’actions au profit de la société TTBR a été expressément reconnu dans la convention du 27 décembre 1996, ne peut qu’être regardée comme ayant participé, à hauteur de 70 millions de francs CFP, à une opération financière dénuée de tout risque, dont l’unique objet était, pour elle, d’atténuer les charges fiscales qu’elle aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à son activité réelle et non de permettre le financement d’une opération d’investissement hôtelier ;

 

dès lors, c’est à bon droit que l’administration fiscale, qui, à hauteur de 70 millions de francs CFP, établit le caractère artificiel de la participation de la SOCIETE CDP au financement de la construction de l’hôtel, a demandé la restitution du crédit d’impôt d’un montant de 42 millions de francs dont la société requérante a bénéficié à tort ;

 

dès lors, c’est à bon droit que les premiers juges ont décidé que la demande de substitution de base légale fondée sur la fraude à la loi, présentée par l’administration, devait être accueillie

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